Témoignage de M. Charles (Károly) Kosztolányi [hu]

1956-2016 - De la Hongrie vers la France

Retrouvez les témoignages, recueillis par l’Ambassade de France en Hongrie à l’occasion du soixantième anniversaire de la Révolution hongroise de 1956, de réfugiés hongrois accueillis en France.

Témoignage de M. Charles (Károly) Kosztolányi

PNGEn 1956, Charles (Károly) Kosztolányi a trente ans et croupit en prison pour « complot contre l’État », en fait pour avoir tenté d’organiser un mouvement scout indépendant des autorités communistes et, circonstance aggravante, pour le « crime de classe » d’être né dans une famille de l’ancienne noblesse hongroise.

De sa cellule, Charles n’a pas d’écho de l’insurrection de Budapest, quelques indices seulement lui laissent penser que quelque chose d’inhabituel est en train de se passer : on entend régulièrement des coups de feu à l’extérieur et sur le béret des gardiens l’étoile rouge a subitement disparu pour laisser place aux trois couleurs du drapeau hongrois…

Libéré le 1er novembre par les insurgés, Charles se précipite vers le village du sud de la Hongrie où vivent ses parents. C’est là qu’il apprend quelques jours plus tard les dernières nouvelles de Budapest : le retour des chars russes, la résistance héroïque des insurgés hongrois, la fin tragique, dans le sang et la répression, des espoirs de tout un peuple…

En décembre, Charles revient à Budapest. Il veut voir s’il lui est possible de reprendre le travail qu’il occupait avant d’être jeté en prison, comme chimiste au laboratoire de contrôle des chemins de fer hongrois. Mais quand il voit ses anciens camarades de prison être arrêtés à nouveau, l’un après l’autre, il comprend que son tour est proche et qu’il lui faut, le cœur lourd, quitter son pays tant qu’il en est encore temps. Ce Noël 1956 sera le dernier qu’il passera en famille.

À Baja, où il a des connaissances, il rejoint un groupe qui s’apprête à passer clandestinement la frontière yougoslave. Il fait moins dix degrés, la neige arrive aux genoux. Dans le groupe, il y a des enfants, il y a même un bébé, transporté dans un panier à linge. Il leur faut plusieurs heures pour parcourir les quatre kilomètres qui les séparent de la frontière. Ils avancent à l’aveuglette. On leur a indiqué de suivre une étoile pour rester dans la bonne direction… mais un épais brouillard blanc les enveloppe, qui voile le ciel…

Enfin ils aperçoivent au milieu des brumes, une cabane forestière, en fait la première maison d’un village que le brouillard leur masque. Son propriétaire, qui est magyarophone comme de nombreux habitants de ce village frontalier, leur confirme qu’ils ont passé la frontière. Charles est désormais sauf. Libre.

Mais où aller à présent ? Dans le camp où les réfugiés ont été accueillis par les autorités yougoslaves, il attend de savoir quel pays acceptera de l’accueillir. Ce sera la France. Le jeune Charles est quelque peu inquiet, son oncle l’ayant mis en garde contre les communistes de ce pays !

L’accueil chaleureux qu’il reçoit à son arrivée à Metz le rassure vite. « Partout où j’ai été, j’ai été bien accueilli » se souvient-il. Ce qui frappe le plus le jeune Hongrois à son arrivée en France, ce sont les étalages pleins dans les magasins et le nombre de voitures en circulation.

Charles parle français, qu’il a appris au lycée cistercien de Baja comme le veut la tradition familiale. Il assiste comme interprète une jeune institutrice, Suzanne, sympathisante de la cause hongroise et qui donne des leçons de français aux réfugiés. Les deux jeunes gens s’apprécient.

Lorsque qu’une tache est décelée sur un poumon de Charles à l’occasion d’un examen médical et que celui-ci est hospitalisé, Suzanne vient lui rendre visite. Elle viendra aussi le voir dans le sanatorium des Vosges où on l’a envoyé pour se soigner et où il restera jusqu’en février 1959. C’est Suzanne encore qui déniche pour lui, à sa sortie du sanatorium, une offre d’emploi de chimiste (sa formation) à l’École supérieure de géologie de Nancy et qui postule en son nom… ne l’en informant qu’a posteriori ! Charles obtient un entretien, est engagé. Cinq mois plus tard Charles et Suzanne se marient. Pour le jeune réfugié hongrois une nouvelle vie commence dans son pays d’adoption, la France, où il se sent si bien accueilli.

En 1962, Charles apprend la mort de sa mère. Les autorités communistes hongroises ne l’autoriseront pas à se rendre à son enterrement. Elles ne lui permettront pas non plus, en 1981, d’assister aux obsèques de son père.

Ce n’est qu’en 1986 que Charles obtient finalement une autorisation provisoire de séjour en Hongrie, d’une durée de quinze jours, pour participer à un congrès de scientifiques hongrois résidant à l’étranger. Il revoit alors sa ville natale, se recueille sur les tombes de ses parents… « Le cercle s’était refermé, l’exilé a pu rentrer. il était parti seul, tremblant à travers les champs enneigés dans la nuit glaciale de l’hiver, maintenant en plein été, en voiture, en compagnie de son épouse et de sa fille il est revenu à la terre où il était né et de laquelle il ne s’était jamais séparé au fond de son cœur. »

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Dernière modification : 23/12/2016

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